Il devrait rester clair que lorsque je parle de croyance en Dieu, c'est d'abord dans le contexte restreint de la religion monothéiste où l'entité transcendante qui nous intéresse s'appelle effectivement Dieu. Cela étant, cette sécurité dans la restriction peut se révéler inutile si l'on cherche à concevoir le phénomène de la croyance de la manière la plus générale, la plus globalisante et unificatrice possible ; d'une manière qui concernerait tous les genres d'entités transcendantes, y compris l'arrière-monde auquel les chamans accèdent.
Il y a une autre réalité à ne pas perdre de vue dans les comparaisons entre théisme et athéisme : la croyance en l'existence de Dieu résulte le plus souvent d'un endoctrinement administré aux enfants dès leur jeune âge. Et cette pratique, l'athéisme l'ignore, ou ne la réalise qu'à petite échelle, celle du noyau familial (en tout cas, j'imagine que des parents athées auraient envie d'apprendre à leurs enfants que Dieu n'existe pas). Il n'y a pas de vaste organisation athéiste comparable à un clergé ou de cours d'athéisme à l'école. Par conséquent, cette doctrine survient très souvent consécutivement à un refus de la religion que l'on a reçue au départ. C'est la position délicate de l'athéisme dans la culture spirituelle : il se présente comme réaction hostile au théisme inculqué au préalable. Une position délicate que l'athéisme partage, dans l'Occident, avec des doctrines "exotiques". Je vise en premier lieu le bouddhisme, la plus "à la mode" de ces doctrines, "la majoritaire parmi les minoritaires".
Un futur athée possède de très fortes chances de posséder au terme de son éducation une croyance doublement positive qui est la croyance en l'existence de Dieu. En devenant athée, il procèdera par la conversion d'une des deux positivités en une négativité. Et il choisira la positivité la plus prégnante, la plus apparente pour lui : celle de la croyance, de l'action. Convaincu que Dieu existe uniquement parce qu'on y croit, il refusera de croire en l'existence de Dieu. Négativité dans l'action (il ne croit pas) et positivité dans l'objet de l'action (l'existence de Dieu).
La conviction de l'athée "naïf" (l'adjectif est un peu sévère) n'inclura cependant pas l'idée d'une existence de Dieu comme
objet d'une action - la croyance - mais comme
résultat de cette action. Je ne fais ici qu'exprimer d'une autre manière ce qui se situe un peu plus avant sous la forme "Dieu existe uniquement parce qu'on y croit". Si l'on suppose que l'idée de Dieu, et forcément son existence, émerge d'une profession de foi, alors on aboutit à la conclusion qu'en annulant la profession de foi, c'est-à-dire en négativisant la croyance, alors Dieu disparaîtra obligatoirement, aussi obligatoirement que l'eau cesse de couler quand on ferme un robinet.
Parce qu'accepter l'athéisme, c'est d'abord et surtout refuser le théisme. Un athée cherchera à se démarquer de la population des croyants. Il repérera la caractéristique la plus évidente de ces croyants, et cette caractéristique est bien entendu la croyance, pour la retourner en négativité. Le passage de l'athéisme "naïf" à l'athéisme "réfléchi" comporte l'acceptation du fait que croyants et athées ont justement le point commun de croire, mais qu'ils croient simplement en des choses opposées. Le souci de se démarquer des croyants, par hostilité et antipathie, devient l'acceptation du fait qu'un athée est aussi croyant qu'un croyant. La négativité se transférera alors sur l'objet de la croyance, et non plus sur la croyance elle-même. L'athée, au départ, n'en peut plus d'accepter Dieu, car cette acceptation lui apparaît comme le trait essentiel de la croyance dont il veut se débarrasser. Alors il refusera Dieu dans un premier temps, avant de comprendre que ce n'est pas l'existence de Dieu qui se refuse, mais l'inexistence de Dieu qui s'accepte.
Tout ceci suggère que si l'athéisme faisait l'objet d'un endoctrinement institutionnalisé, officialisé et organisé, il serait transmis directement sous sa forme "réfléchie", soit sous la forme d'une religion semblable aux autres, avec profession de foi et acte de croyance. Il y a deux athéismes car la croyance "de départ" est un théisme. Le premier athéisme fait office de transition entre ce théisme et l'athéisme de seconde sorte, une seconde sorte qui serait probablement seule à exister s'il n'y avait pas de théisme à l'origine. En effet, dans cette situation, la notion de transition perd son sens, puisqu'il n'y a plus de situation de départ à partir de laquelle on pourrait organiser la transition par un athéisme de première sorte.
- Citation :
- Ici, tes phrases, je les résumerai en 2 mots : succinct et concis dans le sens où elles signifient beaucoup.
Je pense qu'il y a de la métaphysique derrière tout ça, non ? Tu veux en venir où ?
Étrangement, ces phrases, je les ai écrites telles des précisions à peine utiles, comme la partie la moins profonde de mon raisonnement. Cela m'étonne que tu y décèles de la réflexion de haut vol... Leur formulation est restée succincte et brève précisément parce que je n'ai pas ressenti le besoin de m'étaler longuement en explications sur des détails d'importance très secondaire. Ces détails venaient clore une description relative à un exemple simple de combinaison de termes. Avec deux termes pouvant prendre chacun deux valeurs opposées (croire et ne pas croire pour le premier terme, existence de Dieu et inexistence de Dieu pour le second terme), il y a théoriquement quatre combinaisons possibles. Dans ce cas précis cependant, deux des combinaisons s'équivalent. Il ne reste alors que trois combinaisons différentes. Je me répète par rapport à mon message précédent, et je ne peux d'ailleurs faire que cela, tant ces notions sont élémentaires et se passent de commentaires.
- Citation :
- D'ailleurs pourquoi ce sens unique du croyant vers l'athée, tout simplement parce que les convictions du croyant sont bien plus solide que les convictions d'un athée
L'explication ne s'arrête pas là : qu'est-ce qui rend les convictions d'un croyant bien plus solides que celles d'un athée ? Le croyant serait-il juste plus sûr de lui ? Je n'en suis pas certain, et je me suis proposé d'expliquer cela sous deux plans.
En premier lieu, le fait que la croyance en l'existence de Dieu consiste en une double positivité, ce qui est une position intellectuellement favorisée si elle doit être justifiée. Et elle doit être justifiée quand elle est remise en cause, par exemple dans une situation de débat où des avis contraires sont émis avec leur aspect critique.
En second lieu, le fait que l'athéisme s'adopte par dissidence vis-à-vis de la croyance en Dieu inculquée au départ. L'athée ne cherche pas à justifier pourquoi il est devenu athée, mais pourquoi il n'est plus croyant. Et en situation de débat, il ne comptera moins sur la force de ses convictions athéistes que sur la faiblesse de ses anciennes convictions théistes.
Les deux plans se combinent : d'abord il est plus facile de prouver l'existence de Dieu que l'inexistence de Dieu, mais en plus de cela, l'argumentation athéiste cherchera moins à solidifier les preuves de l'inexistence divine que fragiliser celles de l'existence divine,
en espérant que cela suffise, car le cheminement spirituel vers l'athéisme, dans les conditions qu'offrent la société actuellement, comporte un refus de l'existence de Dieu avant une acceptation de son inexistence. L'argumentation athéiste évoque la maïeutique (mais ne s'y assimile pas totalement) parce qu'elle ne compte pas sur l'administration de la preuve de l'inexistence de Dieu. Rien n'est transmis de l'athée vers le croyant, comme rien n'est transmis du philosophe socratique vers son interlocuteur. Un athée cherchant à avoir raison procédera préférentiellement par démolir la vérité de l'adversaire, plutôt que d'imposer la sienne. D'ailleurs, il aurait du mal à imposer la sienne de manière intellectuellement et logiquement satisfaisante, car cette vérité est une négativité, à savoir l'inexistence de Dieu.