Toucher quelques mots des galaxies elles-mêmes me sera utile dans les descriptions qui vont suivre. Je n'ai néanmoins pas besoin de définition précise ; en fait, une esquisse très brouillonne me suffira. Une galaxie devra se concevoir dans ce que j'ai écrit ci-dessous comme un système, un ensemble d'étoiles liées par la gravité, le mouvement de chacune étant influencé par la disposition de toutes les autres. Un système galactique est qualifié d'autogravitant car il ne doit pas sa cohésion par l'action d'un seul élément, exercée sur tous les autres. Après tout, on dit aussi d'une usine qui n'a pas de patron qu'elle est autogérée, mais c'est un tout autre domaine. Les étoiles ne constituent pas l'entièreté de la matière qui compose une galaxie : on doit mentionner l'existence d'un milieu interstellaire, remplissant en quelque sorte les larges espaces entre les étoiles d'un gaz très raréfié mêlé de minuscules grains de poussière. Je me limiterai aussi aux galaxies dites normales, sans dire quoi que ce soit des galaxies actives.
La typologie des galaxies est morphologique, c'est-à-dire que les critères selon lesquels les différentes catégories se différencient reposent sur la forme des exemplaires à classifier. Cette méthode de classification a été mise au point par Edwin P. Hubble dans les années 1920, et elle est toujours utilisée aujourd'hui, moyennant quelques ajouts et perfectionnements. À dire vrai, E. Hubble ne disposait pas de critère autre que morphologique pour mener ses tentatives de mise en ordre parmi les galaxies. Et jusqu'à maintenant, un peu moins d'un siècle plus tard, personne n'en a trouvé de meilleur. La forme d'une galaxie dépend, en fin de compte, du mouvement des étoiles qui la composent. En effet, une galaxie ne peut pas s'étendre au-delà de l'espace occupé par les étoiles qui en sont membres lorsque ces dernières se déplacent. Toute régularité dans le mouvement des étoiles à l'intérieur d'une galaxie se remarquera par une régularité dans la forme de la galaxie en question.
Comme la plupart des classifications, celle des galaxies tient plutôt du "système classificatoire", organisé en classes et en sous-classes. On progresse dans un tel système de niveau en sous-niveau et par subdivision de plus en plus fine de chaque catégorie. Au premier niveau, nous trouvons trois catégories générales de galaxies : les elliptiques, les spirales et les irrégulières. Ces trois catégories se notent respectivement E, S et Irr. La nomenclature utilisée dans cette classification - si au moins la nuance entre "nomenclature" et "classification" est comprise - a l'avantage de rester limpide et suffisamment évocatrice.
Ainsi, les galaxies elliptiques se présentent sur les photographies sous l'aspect d'ellipses, de cercles aplatis. L'ampleur de l'aplatissement sert de critère pour passer au second niveau dans la catégorie des elliptiques : huit sous-catégories ont été dégagées de l'ensemble, pour se noter de E0 à E7. Une galaxie elliptique dont l'aspect se limite à un disque, ne présentant aucun aplatissement, sera classée comme E0. La succession menant de E1 vers E7 suit le caractère de plus en plus marqué de l'aplatissement. Une fois que le grand axe (la "longueur") de l'ellipse est trois fois plus étendu que son petit axe (sa "largeur"), la galaxie se range dans la sous-catégorie E7. Traditionnellement, les astronomes travaillent uniquement sur l'aspect des galaxies, pas sur leur forme réelle. Imaginons une galaxie elliptique aplatie observée de face : elle prendra l'aspect d'un disque lumineux, car son aplatissement sera dissimulé par l'angle de vue. Et même si cette galaxie elliptique est aplatie dans la réalité, elle sera malgré tout classée E0.
Les galaxies spirales (S) se remarquent d'abord par leur aplatissement beaucoup plus marqué, ce qui leur confère la forme comparable à celle d'un frisbee, d'une lentille ou encore d'un œuf sur le plat, selon les auteurs. Les étoiles tournent autour du centre d'une galaxie spirale selon une direction privilégiée, partagée par la majorité de celles-ci. C'est évidemment l'origine de la forme aplatie donnée à l'ensemble : le disque d'une galaxie spirale n'est en somme que le plan privilégié rendu lumineux par les étoiles qui y sont confinées. Ce que les étoiles possèdent de commun dans leurs déplacements ressemble, de l'extérieur, à un mouvement d'ensemble de la galaxie spirale.
Il n'est pas question de cela dans une galaxie elliptique. Dans ce dernier cas, deux étoiles peuvent tourner autour du centre galactique sur des trajectoires inclinées n'importe comment l'une par rapport à l'autre. De même, il est de mise que les étoiles ne partagent même pas leur sens de rotation, autrement dit qu'elles gravitent en sens contraires. Une galaxie elliptique est elliptique car il n'y a pas de plan privilégié sur lequel s'alignent les étoiles dans leur mouvement de rotation ; elles peuvent se retrouver un peu partout autour du centre galactique, et non dans les limites d'un disque assez fin. De plus, une galaxie elliptique n'est pas spirale car les étoiles ne se dirigent pas toutes dans le même sens, et ne donnent du même coup aucun mouvement d'ensemble à la galaxie qu'elles constitue.
Les galaxies spirales sont celles dont la structure est la plus complexe, et la raison tient dans le mouvement relativement ordonné de leurs étoiles. Pour résumer, il est permis d'envisager une galaxie spirale typique comme deux "sous-galaxies" imbriquées l'une dans l'autre. La première des deux est représentée par le halo et le bulbe, la second par le disque au sens strict, ceinturant le bulbe. Le bulbe est la partie centrale d'une galaxie spirale. Quand la galaxie est vue de face, le bulbe est ce disque central sans structure apparente, brillant d'une lumière blanche ou jaunâtre. Quand la galaxie est vue du profil, le bulbe se remarque aussitôt tel un renflement dépassant des deux côtés du disque.
Le halo se définit comme le prolongement extérieur du bulbe comme le bulbe se définirait comme la partie centrale, la plus concentrée et la plus lumineuse du halo. Les deux manières de voir les choses s'équivalent. Les étoiles du bulbe-halo sont simplement de plus en plus dispersées à mesure que l'on s'éloigne du centre galactique. Il arrive un moment, ou plutôt un endroit, où les étoiles deviennent trop éparses pour être vues de loin. C'est l'endroit où l'on passe du bulbe au halo.
Le mouvement des étoiles du bulbe-halo s'assimile à ce qui se déroule dans une galaxie elliptique. Il ne faut pas chercher ailleurs la raison pour laquelle le bulbe est lui-même elliptique et pourquoi le halo encercle toute une galaxie spirale comme un vaste cocon. À la limite, on en vient à se rendre compte que peu de choses différencient le bulbe central d'une galaxie spirale et une galaxie elliptique de type aplati.
Voilà pour le premier sous-système, la première "sous-galaxie" incluse dans une galaxie spirale. Comme ce premier sous-système ressemble à une galaxie elliptique, ce sera forcément au second sous-système qu'une galaxie devra sa classification dans la catégorie des spirales. Le second sous-système est celui du disque, le blanc de l'œuf sur le plat, qui ceinture le jaune du bulbe. Les étoiles circulent dans le disque comme le feraient des automobiles sur un large boulevard circulaire, en particulier parce que les unes et les autres sont régulièrement prises dans des embouteillages, plus correctement appelés ralentissement dans le cas des étoiles, qui ne s'immobilisent jamais complètement. Le mécanisme est étudié par les physiciens sous le nom d'ondes de densité. Lorsque pour une raison ou pour une autre, un grand nombre d'étoiles dans le disque galactique sont forcées de ralentir leur mouvement, elles se font rattraper par celles qui se situent "derrière", et qui se déplacent toujours à leur vitesse de départ. À cet endroit, la densité en étoiles - le nombre qu'il est possible d'en compter dans une région de taille fixée d'avance - augmente. C'est l'origine du mot "densité" dans une appellation comme "onde de densité".
Par la suite, les étoiles qui se situent en avant de la région de ralentissement peuvent reprendre leur mouvement normal, accélérant pour regagner leur vitesse d'origine en se rapprochant juste ce qu'il faut du centre galactique. a région de ralentissement existe toujours derrière les étoiles qui s'en échappent en se précipitant par l'avant, et c'est toujours contre cette région que butent les étoiles situées en arrière. L'augmentation de densité prend finalement la forme d'une perturbation qui se déplace dans un milieu, ici composé d'étoiles, et il y a un mot pour ça : onde. Si l'on prend pour référence le mouvement des étoiles (ce que j'ai fait), on constate que l'onde de densité se déplace vers l'arrière. Si l'on observe la situation de l'extérieur et que l'on se place dans l'espace intergalactique, on peut alors remarquer que l'onde de densité se déplace simplement moins vite que les étoiles, mais toujours dans le même sens. C'est cet avancement à vitesse moindre qui donne l'impression d'un recul, par rapport aux étoiles.
L'onde de densité, ce que j'ai appelé en premier lieu région de ralentissement, parcourt toute la surface du disque, du bulbe central jusqu'au bord externe, sous la forme d'un motif en bras recourbés, spiraux. Dans une galaxie spirale typique, l'onde de densité met environ 400 millions d'années pour effectuer un tour, alors que les étoiles ne prennent que 250 millions d'années, en moyenne. Pour les étoiles, le temps mis pour faire un tour augmente avec la distance au centre ; il semble que ce ne soit pas le cas pour l'onde de densité. Selon l'endroit où l'on se place dans le disque galactique, la différence de vitesse entre les étoiles et l'onde de densité qu'elles traversent n'aura donc pas la même ampleur. Il y a même un endroit particulier où tout (étoiles et onde) tourne en même temps, sans différence de vitesse. Au-delà de cette zone particulière, dite zone de corotation, c'est l'onde de densité qui tourne plus vite que les étoiles. Cela fonctionne aussi bien que la situation inverse, expliquée en premier lieu.
Mais la plupart du temps, ce sont bien les étoiles et les nuages de gaz qui rattrapent l'onde de densité, plus lente qu'eux. La concentration des étoiles n'a que très peu de conséquences, car elle n'est en fin de compte que peu marquée. Ce n'est pas du tout comme dans un embouteillage routier où les voitures se retrouvent pare-chocs contre pare-chocs : les étoiles se rapprochent les unes des autres quand elles traversent une onde de densité, c'est vrai, mais relativement peu. Les effets sont beaucoup plus spectaculaires concernant le gaz. Les nuages de gaz, une fois concentrés par leur traversée de l'onde de densité, ont de fortes chances de franchir un stade critique de concentration où ils commencent à s'écrouler sur eux-mêmes. C'est l'amorce du processus de formation stellaire, par compactage du gaz interstellaire.
Il se forme toutes sortes d'étoiles, dont des exemplaires massifs, qui s'avèrent également les plus lumineux et les moins durables. Et on doit mettre l'accent sur ces exemplaires, car c'est grâce à eux que les bras spiraux sont plus lumineux que le reste du disque. Sans ces étoiles nettement plus lumineuses que la moyenne, les ondes de densité seraient trop discrètes pour être visibles. C'est donc grâce à elles qu'à partir d'une onde de densité, il vient un bras spiral proprement dit, c'est-à-dire quelque chose de brillant dont la forme épouse celle de l'onde de densité et permet de la rendre visible. Inutile d'ajouter que c'est tout ce qui fait le charme et la beauté d'une galaxie spirale, subjectivement parlant. C'est quand les étoiles les plus lumineuses sont éteintes que le bras spiral disparaît, et peu importe où se trouve l'onde de densité à ce moment là.
Déjà Edwin Hubble avait distingué deux sous-classes de galaxies spirales, qu'il a baptisées spirales normales et spirales barrées. Dans une spirale normale, les bras démarrent d'un bulbe central arrondi, justement le genre de bulbe qui évoque l'image de l'œuf sur le plat. En ce qui concerne les spirales barrées, le bulbe n'est plus arrondi mais étiré, allongé en barre quasiment rectangulaire. Les bras débutent alors aux deux extrémités de la barre et s'enroulent tout autour jusqu'au bord du disque. Les dessinateurs de schémas représentent assez souvent des spirales normales à quatre bras et des spirales barrées à deux bras, mais les deux types peuvent indifféremment arborer deux ou quatre bras. C'est facilement admissible pour les galaxies spirales normales, où les bras semblent pouvoir commencer n'importe où et en n'importe quel nombre le long du périmètre du bulbe central, moins pour les galaxies spirales barrées chez lesquelles la barre centrale n'a forcément que deux bouts, donc deux points de départ pour les bras. Une galaxie spirale barrées à quatre bras possède deux bras principaux, qui démarrent bien à partir des deux bouts de la barre centrale, ainsi que deux bras secondaires, remplissant les deux intervalles entre les deux bras principaux. Les bras secondaires ne s'accrochent à aucune structure dans la galaxie, et semblent alors apparaître à partir de rien dans le disque. Ils sont aussi moins lumineux que les bras principaux. Je n'insiste pas innocemment sur le cas des galaxies spirales barrées à quatre bras : la Voie Lactée est l'une d'elles*. Quand on parle de galaxie spirale à deux ou quatre bras, il ne faut pas perdre de vue qu'elle s'organisera respectivement autour d'une seule ou de deux ondes de densité. Une onde de densité est "divisée" en deux bras par le bulbe ou la barre centrale qui l'interrompt en son milieu, et deux ondes de densité donnent quatre bras de par leur intersection au niveau du bulbe.
Au départ, les spirales normales se notaient S et les spirales barrées SB. De plus en plus, les astronomes substituent la notation SA à la S d'origine. Cela leur permet d'affiner la classification en insérant une classe de transition, les SAB, entre les spirales normales et les spirales barrées. Cette classe de transition n'a pas (encore ?) de nom bien à elle. Le bulbe central d'une galaxie SAB possède une forme s'intercalant entre le disque et la barre : un disque légèrement déformé ou une barre très courte, c'est selon. Les galaxies spirales se répartissent équitablement entre les trois types SA, SAB et SB. En d'autres termes, chacune de ces trois classes contient environ un tiers des galaxies spirales connues.
L'origine des bras spiraux et des barres centrales a longtemps été sujette à discussion, mais les possibilités explorées théoriquement ces dernières décennies prennent de la consistance. En simulant le comportement d'un disque galactique par ordinateur, il apparaît que l'apparition d'une barre centrale, par déformation du bulbe déjà présent, est un phénomène courant et spontané. Mieux que cela, il a été possible de remarquer, dans certaines simulations, que la barre pouvait d'elle-même susciter une onde de densité dans le reste du disque, soit se prolonger par des bras spiraux. Ceci dit, une onde de densité, donc des bras spiraux peuvent se former sans barre, si la galaxie est croisée par une autre ou si elle absorbe du gaz présent dans les alentours. En résumé, barres centrales et ondes de densité (donc bras spiraux) sont étroitement liés, représentent des structures temporaires qui apparaissent et disparaissent spontanément, ou presque quand il s'agit d'un rapprochement entre deux galaxies. C'est précisément parce qu'une figure comme la barre centrale s'en va comme elle est arrivée que les trois types SA, SAB et SB contiennent approximativement le même nombre de galaxies. La répartition serait toute différente si une barre centrale nécessitait des circonstances très particulières pour se former, ou encore si elle était soit fort instable soit quasiment permanente.
Ce n'est pas fini pour la subdivision de la catégorie des galaxies spirales. Il existe une seconde division, transversale à la première. Cela veut dire que cette seconde division concerne tout autant les spirales normales que les spirales barrées. Le critère utilisé se rapporte encore à la morphologie : on s'intéresse à la taille du bulbe par rapport à la taille totale de la galaxie et au degré d'ouverture des bras spiraux. Edwin Hubble, à nouveau, avait un sens de l'observation suffisamment développé pour avoir constaté que les deux caractéristiques se trouvaient toujours liées. Les galaxies spirales à gros bulbes ou à longues barres centrales exhibaient des bras étroitement serrés tout autour. Plus la taille de la structure centrale diminue, plus les bras s'ouvrent et se déploient de manière aérée. Hubble, en premier lieu, a séparé trois degrés d'ouverture des bras, donc trois gabarits de bulbe et de barre, pour les noter simplement par les trois lettres minuscules a, b et c. Le a vaut pour les gros bulbes ou les longues barres et les bras serrés, le c s'applique aux petits bulbes, aux barres courtes et aux bras ouverts. Le b est réservé quant à lui aux cas intermédiaires.
Quelques aménagements à cette division transversale survinrent plus récemment. Les astronomes ont notamment ajouté une quatrième catégorie, d, pour les (rares) cas extrêmes d'ouverture de bras et de bulbes si petits qu'ils deviennent invisibles le long des bras. Aussi, des types intermédiaire ont été inventés entre les quatre existants, de manière à raffiner la répartition des exemplaires dans les différentes classes. Ces catégories intermédiaires joignent les deux lettres entre lesquelles on peut hésiter. En guise de synthèse, il existe en tout et pour tout vingt-et-un types de galaxies spirales, groupés en trois séquences de sept types chacune, que voici détaillées :
- SAa, SAab, SAb, SAbc, SAc, SAcd, SAd ;
- SABa, SABab, SABb, SABbc, SABc, SABbd, SABd ;
- SBa, SBab, SBb, SBbc, SBc, SBcd, SBd.
La distinction entre lettres majuscules et minuscules peut sembler problématique au premier abord, quand on songe aux risques d'erreur, mais elle se révèle beaucoup moins importante qu'il n'y paraît. En regardant bien, l'ordre des lettres se montre plus efficace pour s'y retrouver, bien qu'il ne nous mette pas à l'abri de toute confusion.
La Voie Lactée se classerait dans la catégorie SBb, bien que SBab ou SBbc ne soient pas exclus d'office.
Il reste à mentionner un autre mécanisme de formation pour les bras spiraux, qui a été étudié de manière relativement approfondie. Ce mécanisme fait appel à l'aspect "contagieux" de la formation d'étoiles. Une région où se forment des étoiles sera effectivement assez agitée pour transmettre cette énergie aux alentours, et y provoquer ainsi l'effondrement de nuages gazeux restés stables jusque là. Comme les bras spiraux représentent des régions où le compactage du gaz interstellaire s'effectue à un rythme soutenu, si le phénomène s'étend à partir d'un seul site originel, alors on verra l'apparition, dans le disque galactique, d'un morceau de bras spiral, recourbé lui aussi. Le Soleil se situe à proximité directe d'un tel bras partiel dans la Voie Lactée, lequel se nomme éperon d'Orion. On aurait pu, en principe, parler de moignon pour filer la métaphore du bras, mais le terme d'éperon a probablement été jugé plus élégant. Dans certaines galaxies où les nuages de gaz ont besoin de peu de choses pour s'écrouler et faire s'allumer des étoiles, le motif des bras spiraux perd de sa régularité, jusqu'à donner dans certains cas un enchevêtrement compliqué de segments et de nœuds sur toute la surface du disque. Le vocable de galaxies spirales floculentes se ramène à ces cas.
Le statut des galaxies lenticulaires est resté délicat un moment, avant de trouver une ébauche de solution. On ne peut d'ailleurs pas attendre autre chose de la part d'un type de galaxies situé à l'interstice entre deux autres, à savoir les elliptiques et les spirales. Il est à présent admis que les galaxies lenticulaires se définissent comme des galaxies spirales sans motif spiral plutôt que comme des galaxies elliptiques exagérément aplaties. Comme le motif spiral dans un disque galactique dépend de la formation stellaire, on doit en déduire que si la formation stellaire est entravée ou empêchée, alors le motif spiral s'atténuera ou se résorbera. Le problème des galaxies lenticulaires retombe sur la manière par laquelle la formation stellaire y est inhibée. Soit le gaz qui fait office de "matière première" est consommé plus rapidement qu'il n'est restitué par les étoiles en train de s'éteindre, et les stocks s'épuisent : c'est probablement ce qui s'est passé dans les galaxies elliptiques. Soit le gaz est extirpé hors de la galaxie sous la pression du milieu intergalactique ou l'attraction d'une galaxie massive à proximité directe. C'est ce que quelques galaxies qualifiées d'"anémiques" ont certainement connu. La première possibilité est préférée à propos des galaxies lenticulaires, mais elle n'empêche de toute façon pas la seconde, qui peut se prouver par l'observation aussi.
C'est un peu de la formation des étoiles que les galaxies de la troisième catégorie générale, les irrégulières, tirent l'irrégularité qui leur a valu cette appellation. Il faut rappeler que les galaxies ne brillent que de la lumière produite par leurs étoiles, et qu'elles n'ont que la forme que leur donne la disposition de leurs mêmes étoiles. Dans la plupart des galaxies irrégulières, le compactage du gaz, c'est-à-dire la formation de nouvelles étoiles, s'effectue aussi activement que sans ordre spécifique. Cette absence d'ordre est permise par la masse relativement faible des galaxies irrégulières : ces dernières se retrouvent toujours parmi les plus petites. La formation d'étoiles, comme phénomène contagieux, se produit par vagues qui sculptent à chaque fois un aspect changeant à la galaxie entière.
Les galaxies irrégulières se répartissent en deux sous-catégories : les irrégulières magellaniques et les naines bleues compactes. Les premières tirent leur nom des deux Nuages de Magellan, galaxies satellites de celle où le Soleil se situe. La totalité de la lumière qui en émane est étalée sur une surface assez étendue, d'où une apparence pâle dans l'ensemble. Le contraire se remarque pour les galaxies naines bleues compactes : leur lumière est concentrée sur une petite surface, ce qui les fait ressortir de manière contrastée sur le fond du ciel. La couleur bleutée provient des étoiles les plus massives, également les plus chaudes, et cette haute température se manifeste par une teinte bleu clair.
Toutes les galaxies irrégulières sont petites, mais toutes les petites galaxies ne sont pas irrégulières. Parmi les galaxies naines, on trouve aussi des elliptiques et des sphéroïdales. Avec les moyens dont les astronomes disposent actuellement, et bien entendu ceux dont ils ont disposés auparavant, il n'est habituellement pas possible de distinguer les étoiles individuellement dans une galaxie. Cette dernière brillera d'une lumière uniforme, comme un objet unique. Les galaxies naines sphéroïdales font justement exception, et pour une fois, elles ressemblent à ce qu'elles sont : un très vaste amas d'étoiles. La disposition des étoiles est si éparse et aérée dans une naine sphéroïdale que discerner ces étoiles dans le corps de la galaxie reste chose aisée, même à distance relativement grande.
Là où nous en sommes, la description des types de galaxies s'achève. Mais ce n'est qu'accomplir une seule moitié du travail. Il reste à chercher des relations entre ces types, les raisons profondes pour lesquelles ils se distinguent les uns des autres. Ce n'est qu'une fois que l'on tient en main ce principe organisateur, cet ordre sous-jacent que l'on passe de la typologie à la classification. La typologie est analyse descriptive ; la classification se fait synthèse explicative. La typologie consiste en une mise en ordre, la classification en une connaissance approfondie de cet ordre. Il y a toute une variété de typologies possibles, selon les critères choisis pour isoler chaque type des autres. Mais il n'y a qu'une seule classification valide, quand les critères choisis correspondent à la réalité objective et à l'ordonnancement véritable de l'ensemble à classer.
Lorsque l'ensemble à classer s'assimile aux galaxies, il y a toujours eu une seule typologie établie, car une seule caractéristique observable des galaxies peut servir de critère typologique : leur forme. L'astrophysique galactique avance en cherchant quel ordre sous-jacent, quel principe organisateur explique les différents types, autrement dit en cherchant le moyen le plus réaliste de faire de cette typologie une classification**. Une typologie morphologique se mue en classification morphologique quand les mécanismes par lesquels les galaxies acquièrent leur forme est connu, décrit et compris.
Edwin Hubble ne s'est pas contenté d'établir une typologie : il a esquissé une classification en imaginant que les types de galaxies représentaient une séquence évolutive. L'évolution est un exemple simple et répandu de principe organisateur, d'ordre sous-jacent propre à transformer une typologie en classification. Dans le chef de Hubble, une galaxie change de forme durant son existence, ce qui revient à dire, puisque la typologie est morphologique, que cette galaxie change de type au cours de son histoire. Une galaxie apparaît en tant qu'elliptique approximativement sphérique ; elle s'aplatit de plus en plus pour devenir un disque fin. Dans ce disque émerge un motif spiral d'abord serré, puis qui s'évase de plus en plus jusqu'à s'évanouir, laissant une galaxie dépecée sans autre forme qu'irrégulière.
E. Hubble a construit un diagramme qui porte aussi son nom, en forme de Y couché vers la droite. Le long du pied de l'Y, on trouve les galaxies elliptiques, de E0 à E7, donc des plus rondes aux plus aplaties. À l'endroit de la bifurcation se placent les galaxies lenticulaires. Sur les deux branches séparées de l'Y se suivent d'une part les galaxies spirales normales et d'autre part les galaxies spirales barrées, dans les trois variétés d'origine notées a, b, et c. Les galaxies irrégulières n'ont pas leur place sur l'Y, et se retrouvent mentionnées à part, à droite de l'Y. Le fait que Hubble ait penché son Y vers la droite n'est pas innocent : exactement comme on oriente une ligne du temps (en en faisant une flèche) de la gauche vers la droite, on parcourt bien la séquence évolutive de Hubble de gauche à droite, des elliptiques arrondies aux irrégulières, en passant par toutes les autres.
La première interprétation formulée par Hubble, le premier principe classificatoire, n'a pas tenu très longtemps. Les astronomes se sont accordés sur une autre classification, toujours évolutive, mais se résumant à l'exact inverse de ce que Hubble avait proposé. Techniquement, le diagramme de Hubble devait alors être couché vers la gauche. Cette inversion de la séquence évolutive se base sur une compréhension plus fine de ce qui se passe à l'intérieur des galaxies. Et les galaxies fonctionnent principalement grâce au passage du gaz de sa forme diffuse, interstellaire à sa forme compacte, les étoiles. Les galaxies irrégulières sont riches en gaz et en étoiles bleues, massives, jeunes. Chez les galaxies spirales, qu'elles soient normales ou barrées, le contenu en gaz diminue quand on suit la séquence Sc - Sb - Sa (une chose que je n'ai pas précisée dans la partie traitant des galaxies spirales). Enfin, au sein des galaxies lenticulaires et elliptiques, on ne trouve que très peu de gaz interstellaire, et qui plus est aucune étoile allumée récemment. L'idée d'une réserve de gaz de départ, s'épuisant avec le temps par la formation d'étoiles jusqu'à ce tarir constitue une explication plutôt séduisante. Il y aurait évolution des galaxies les plus riches en gaz interstellaire (les irrégulières) au plus pauvres en ce même gaz (les elliptiques).
Cette seconde interprétation n'a pas tenu non plus. D'abord, elle n'explique pas clairement le changement de forme des galaxies le long de leur histoire, or c'est précisément l'enjeu d'une classification morphologique, ou morpho-évolutive dans ce cas-ci. Un examen plus fouillé des galaxies y a révélé des vieilles étoiles, partout, même dans les galaxies irrégulières. Une fois les tailles et les masses des galaxies connues, un dernier problème est apparu, le plus grave pour la seconde version de la classification évolutive. On ne trouve de galaxies irrégulières ou sphéroïdales que parmi les plus petits exemplaires, de galaxies spirales et lenticulaires que parmi les exemplaires de taille moyenne, et enfin de galaxies elliptiques que parmi les gros et les petits exemplaires, jamais chez ceux de taille moyenne. Cette répartition se prête mal à un ordre évolutif, et toute idée de séquence a fini par être abandonnée.
Actuellement, le consensus veut que les galaxies aient à peu près le même âge, une bonne douzaine de milliards d'années. Elles se seraient formées naines et irrégulières ; en fusionnant entre elles, ces galaxies auraient à la fois grandi, grossi, et adopté un aspect plus symétrique, elliptique ou spiral. La coalescence lente et progressive de galaxies naines irrégulières, les unes après les autres, permet à l'objet qui se forme de maintenir ses réserves de gaz interstellaire à un certain niveau. Ce gaz interstellaire va spontanément, de par sa "viscosité", se ranger dans un disque fin, l'ossature d'une galaxie spirale. Les bras spiraux et les barres centrales y émergent tout aussi naturellement. Si deux galaxies de taille comparable, des spirales par exemple, viennent à se rencontrer, l'événement secoue le gaz interstellaire qui se compacte d'un coup en étoiles. La grande galaxie ainsi constituée se retrouve avec des réserves de gaz amoindries ou presque totalement consommées, un trait caractéristiques des galaxies elliptiques.
Un nouveau principe classificatoire se dessine pour l'instant pour expliquer les différentes formes des galaxies, et il repose sur les interactions entre celles-ci. Nous sommes partis d'une typologie morphologique. Dans un premier temps, la classification galactique se résumait à un changement dans le temps. Dans un second temps, cette classification s'élargissait à un changement dans le temps des réserves de gaz interstellaire. Dans un troisième temps, dans lequel nous nous trouvons maintenant, la dimension temporelle s'estompe, et en remplacement, la classification se base sur un changement des réserves de gaz interstellaire dû aux rencontres et rapprochements que subissent les galaxies entre elles dans leur existence. D'autres caractéristiques que le contenu en gaz, comme la répartition ou le mouvement des étoiles, trouvent également une explication dans les interactions entre galaxies. Il semble donc que l'idée structurante, le principe organisateur permettant de passer d'une typologie à une classification des galaxies ait été élucidé pour de bon.
* : ainsi que je le rapportais dans cet article :
https://astro-forum.forumactif.com/les-nouveautes-astronomiques-f6/la-voie-lactee-amputee-t1099.htm** : tous les domaines de l'astronomie ne sont pas aussi avancés. La planétologie par exemple utilise une typologie des corps planétaires, non une classification. C'est dommage, car le savoir planétologique est suffisamment raffiné pour élaborer une classification, et cette classification s'avère plus proche de la situation d'avant le 24 août 2006 que celle d'après...