Il ne s'agit pas d'une coïncidence et le mécanisme à l'œuvre est connu depuis longtemps. Quand deux objets tournent l'un autour de l'autre, c'est par attraction gravitationnelle, et cette attraction se renforce avec la proximité. Comme ces objets ont un certain volume, la face tournée vers l'autre membre du couple subira une attraction de la part de cet autre membre plus intense que l'autre face, celle qui est orientée "vers l'arrière", en tout cas à l'opposé.
Chacun des deux membres aura tendance à légèrement se déformer, et deux bosses y apparaîtront : une bosse vers le second objet et l'autre bosse diamétralement opposée. Nous connaissons très bien cela sur Terre, et quand les bosses se résument au soulèvement des mers et des océans, on appelle cela les marées. Le nom de marées a d'ailleurs été appliqué au phénomène dans toute sa généralité, sans avoir besoin de faire intervenir des mers.
Ces bosses de marées appartiennent à un objet du couple, et si cet objet tourne sur lui-même, alors les bosses accompagneront naturellement le mouvement. Mais ces bosses sont soulevées par l'autre membre du couple, et celles-ci s'aligneront donc dans la direction où se situe cet autre membre.
Dans le cas de la Terre, il est clair que les océans appartiennent à notre planète, et qu'avec tout le reste du globe terrestre, ils accomplissent une rotation en 24 heures. Mais les marées qui y sont soulevées le sont par la Lune, et la Lune n'emploie pas 24 heures mais un mois pour effectuer un tour autour de la Terre. Les bosses que la Lune imprime aux océans terrestres sont donc tiraillés entre deux tendances : (1) elles appartiennent à la Terre, donc un tour en 24 heures et (2) elles sont soulevées par la Lune et restent alignées dans sa direction, une direction qui fait un tour autour de nous en un mois environ.
Finalement, quand on combine les deux tendances, on observe que les deux bosses de marées ne sont pas tout à fait alignées dans la direction de la Lune, qu'elles sont un peu en avance sur elle puisque la Terre les emporte plus vite. C'est l'attraction lunaire qui oblige les bosses de marées à se maintenir dans la direction du satellite, et cela se ressent par un ralentissement de la rotation terrestre. Ce ralentissement a lieu jusqu'à ce que la rotation ne soit plus assez rapide pour dévier les bosses de marées par rapport à la direction de la Lune. Quand la Terre mettra autant de temps pour tourner sur elle-même que la Lune n'en mettra pour tourner autour de la Terre (la Lune se situera sur une orbite géostationnaire, à ce moment-là), alors les bosses de marées n'auront plus aucune raison de dévier par rapport à la direction de la Lune, puisqu'ils sont entraînés exactement au même rythme par la Terre comme par la Lune, dont les mouvements sont synchronisés. Et comme il n'y a plus de déviation, il n'y a plus de ralentissement (puisque la première engendre le second), et les durées se stabilisent comme elles sont.
Jusqu'ici, j'ai pris l'exemple des marées exercées par la Lune sur la Terre, mais le phénomène se produit en sens inverse aussi bien sûr, et même plus fort puisque la Terre est 81 fois plus massive que la Lune. Les marées lunaires, soulevées sur la surface de la Lune par la Terre sont donc d'autant plus marquées. C'est pourquoi c'est d'abord la rotation de la Lune qui a été freinée jusqu'à la synchronisation et jusqu'à ce qu'elle semble nous présenter toujours la même face. La rotation de la Terre est encore en train d'être ralentie par la Lune, et c'est normal que cela prenne plus de temps, car la Lune est plus légère, donc les marées moins intenses.
Ce qui s'est passé sur la Lune à cause de la Terre s'est aussi produit sur les autres satellites naturels. Nous ne connaissons pas les périodes de rotation de tous les satellites naturels connus dans le Système Solaire, et il est donc impossible de comparer ces périodes avec celles de leurs révolutions autour de leur planète pour savoir si les deux sont égales et si le satellite est en rotation synchrone. Mais quoi qu'il en soit, dans le cas où les durées à connaître sont effectivement mesurées et connues, il n'y a que deux exceptions à la synchronie, et elles se trouvent toutes les deux autour de Saturne : ce sont les satellites Hypérion et Phœbé. Le cas de Phœbé n'est pas mystérieux : c'est un satellite fort éloigné de Saturne, et la force de marée, celle qui participe au soulèvement des deux bosses sur l'objet reste relativement faible. Le cas d'Hypérion est plus problématique, mais la solution pourrait se trouver dans une influence du gros Titan, assez proche d'Hypérion.
La rotation synchrone n'est pas la seule situation stable vers laquelle évolue un satellite subissant les marées de sa planète. En particulier, si l'orbite du satellite est elliptique ("ovale"), alors il est plus probable de se retrouver finalement dans une situation où le satellite fait trois tours sur lui-même pendant le temps qu'il met à en faire deux autour de sa planète. C'est la résonance notée 2 : 3. Dans ce cas, au bout d'une seule révolution autour de sa planète, le satellite a fait un tour et-demi sur lui-même. Chacune des deux bosses de marées est ainsi présentée vers la planète en alternance, chacune son tour, quand le satellite passe à sa distance minimale de la planète. Cela a probablement été le cas pour la Lune : des relevés topographiques précis ont montré des déformations du globe lunaire qui y seraient typiquement imprimées en situation se résonance 2 : 3. La planète Mercure est actuellement dans cette situation par rapport au Soleil. Mercure met en effet deux mois pour faire un tour sur lui-même et trois mois pour tourner autour du Soleil.
Il y a résonance entre deux durées quand un nombre entier de la première durée correspond à un nombre entier de la second durée. La rotation synchrone de la Lune autour de la Terre correspond en fait à une résonance 1 : 1, les deux durées correspondant aux deux mouvement de la Lune ayant la même durée, soit un mois.