ARTICLE DE LIBERATION mai 2011
Le célèbre programme Seti de recherche d’intelligences extraterrestres va s’arrêter. Non qu’on désespère de trouver un jour des interlocuteurs valables dans le cosmos : le problème est qu’il manque 5 millions de dollars (3,38 millions de dollars) d’argent public pour continuer à «écouter» le ciel. Certes, nul n’espérait recevoir des galaxies lointaines quelques mots d’amour ou des bonnes nouvelles. Mais un simple «c’est à c’t’heure-ci que tu rentres mon cochon ?» en langage martien aurait déjà comblé de joie une communauté scientifique qui ne peut se résigner à l’idée que nous sommes les seuls dans l’univers à nous emmerder à cent sous de l’heure. Cet arrêt de Seti semble donc boucher durablement un horizon prometteur. Un des responsables de ce programme américain a décrit les dégâts en ces termes : «C’est comme si la Nina, la Pinta et la Santa-Maria venaient d’être mises au sec.»
L’image est intéressante. Supposons en effet que, prétextant des problèmes familiaux à régler d’urgence, Christophe Colomb ne soit jamais parti. Imaginons de surcroît qu’il n’ait eu aucun successeur et, qu’en conséquence, l’Amérique nous soit restée inconnue. Eût-ce été un si grand drame ? N’a-t-on pas un peu exagéré l’importance de la découverte du Nouveau Monde ?
Toutefois, imaginons maintenant que Colomb est quand même parti, mais en n’étant que moyennement convaincu de l’utilité de son expédition. Le 12 octobre 1492, à 2 heures du matin, un marin de la Pinta, Rodrigo de Triana, annonce qu’une terre est en vue. «Quoi ? répond Christophe Colomb. La terre de Jimi Hendrix, de J.D. Salinger, du pop art et de John Cassavetes ? On s’en fout. Mettez la barre plein sud.» Hélas, il est déjà trop tard pour infléchir le cap, car la côte est toute proche et les équipages fatigués. La première rencontre avec les indigènes est pacifique. Ces Américains, que Colomb persiste à appeler Indiens et qui eux-mêmes s’interpellent avec des petits noms ridicules comme Nuage rouge, eh bien ces primo-Américains sont d’abord de bonne composition puisqu’ils offrent spontanément aux visages pâles du coton, des perroquets et des sagaies. Mais l’homme venu sur les grands bateaux veut plus : il réclame de l’or, des jeans taille basse et des boissons gazeuses. Progressant peu à peu, l’Amérique parvient à offrir à l’humanité le rock’n’roll et l’expressionnisme abstrait.
Ce n’est toujours pas suffisant. L’homme blanc exige désormais des êtres venus d’ailleurs, éventuellement terrifiants mais bipèdes quand même. Hollywood fournit Men in black et des séries tartignolles. En 2001, Paul Allen, cofondateur de Microsoft, commence à financer le programme Seti, convaincu que l’on doit pouvoir trouver dans les espaces interstellaires des formes de vie au moins aussi présentables que Bill Gates. Un si noble but convainc les pouvoirs publics d’apporter un coup de pouce. Dix ans plus tard, patatras ! Le gouvernement américain estime qu’il y a désormais des priorités plus grandes que de traquer dans le cosmos une intelligence déjà difficile à dénicher sur notre planète.
On aurait dû laisser les caravelles au sec.