La sonde Cassini apporte une solide pierre à l’édifice entamé par l’équipe de planétologues menée par Gabriel Tobie en 2005 : il y aurait bien un océan liquide sous la croûte du satellite Titan, le plus gros objet en orbite autour de la planète Saturne. Alors que les travaux de G. Tobie et ses collègues reposaient surtout sur des modèles théoriques, les rapprochements réguliers entre Titan et Cassini lui ont permis de détecter des preuves sur le terrain.
Concrètement, les chercheurs ont comparé 19 relevés effectués entre octobre 2005 et mai 2007 avec le radar embarqué à bord. Sur les premiers relevés, ils ont noté la position d’une cinquantaine de formations caractéristiques, dont la visibilité peut leur faire jouer le rôle de repères. Parmi ces formations de la surface titanienne, on dénombre des lacs, des vallées, des pics montagneux. En tenant compte de la rotation de Titan sur lui-même, il est possible de prévoir la position de ces repères au moment où les derniers relevés sont enregistrés. Et là, surprise : le décalage entre la position prévue et la position observée peut dépasser trente kilomètres !
Notre connaissance actuelle de la rotation de Titan accorde bien les observations antérieures entre elles, et il n’est donc pas question de suspecter une erreur de calcul dans ce récent résultat, qui constitue bien la signature d’une variation propre du mouvement de Titan. Il est possible d’en rechercher la cause. On remarque en premier lieu que les représentations théoriques de la rotation titanienne ne prennent pas en compte l’influence de son épaisse atmosphère. On sait, en prenant exemple sur la Terre, que les fluctuations climatiques saisonnières peuvent modifier la durée du jour. Ces variations sont cycliques, leur périodicité étant bien entendu calquée sur celle des saisons.
Sur Terre, cet effet est tellement minime qu’il est à peine mesurable avec des instruments de très haute précision. Même si l’atmosphère de Titan est plus épaisse que celle de la Terre et qu’elle est aussi le théâtre de variations saisonnières, un décalage de trente kilomètres de la surface ne s’explique que sous une condition : la croûte glacée qui recouvre Titan, support des repères utilisés, est désolidarisée du noyau solide occupant l’intérieur du satellite. La structure interne de Titan pourrait ainsi se comparer à celle d’un roulement à bille : deux parties solides à l’intérieur et à l’extérieur, avec un milieu fluide entre ces deux parties qui leur autorise une certaine liberté de mouvement.
Ce milieu fluide est vraisemblablement un mélange d’eau et d’ammoniac. Un tel mélange peut notamment rester liquide à des températures bien plus basses que l’eau seule (-170 contre 0° C). L’eau solide compose par contre la croûte du satellite, épaisse d’une centaine de kilomètres au moins.
Si l’on vient bien de déceler des fluctuations saisonnières dans la rotation de Titan, alors leur étude ne fait que commencer. Dans les prochaines années, et avec l’arrivée du printemps dans le système de Saturne, il sera possible de suivre la rotation titanienne de manière à en tirer des enseignements sur la couche liquide en profondeur.